"En Ukraine, j'étais en troisième année de management. La journée, je travaillais dans une usine de transformation de bois et le soir j'étudiais mes cours. Depuis le début de la crise sanitaire, l'enseignement se faisait à distance. C'était plus simple pour moi car je pouvais gagner de l'argent la journée pour payer mes frais de scolarité et ma chambre en résidence universitaire.
Le 24 février, au premier jour de l'offensive russe, j'ai décidé de m'enfuir au plus vite. Avec quatre amis, on a pris la voiture jusqu'à la frontière avec la Pologne.
Il y avait des embouteillages sur la route. La circulation était interrompue. On a laissé le véhicule dans la campagne pour continuer notre route à pied. On a marché une soixantaine de kilomètres.
"La police nous piétinait et nous frappait"
Au poste-frontière ukrainien [Izi ne se souvient pas du nom de la ville, ndlr], les militaires n'ont pas voulu nous laisser sortir du pays. Ils faisaient le tri entre les Blancs et les autres : dans un premier temps, seuls les femmes et les enfants ukrainiens pouvaient passer. Après, c'était au tour des femmes étrangères. Nous, les hommes, n'avons pas eu le droit de franchir la frontière.
Un ami m'a conseillé de faire marche arrière pour prendre un train à Lviv [grande ville à l'ouest de l'Ukraine, ndlr] vers la Pologne. Je suis monté dans un taxi et je suis arrivé à la gare de Lviv vers 23h.
Quand nous avons voulu prendre place dans le train, qui devait partir à 1h du matin, la police filtrait les entrées. Une nouvelle fois, ils faisaient rentrer en priorité les femmes et les enfants ukrainiens. Là encore, les femmes noires n'ont pas pu monter dans le wagon. Nous, non plus. C'était la cohue, les policiers nous piétinaient et nous frappaient pour nous empêcher de grimper dans la rame. Tous les étrangers ont été refoulés.
On a passé la nuit dans la gare et on a retenté notre chance avec le train de 5h. Comme il y avait moins de gens, on a pu se faufiler et monter dedans. Des soldats et des policiers nous tiraient les jambes pour nous faire sortir. Ils nous disaient qu'on devait rester en Ukraine pour combattre à leurs côtés. Finalement, un responsable est venu et a dit aux militaires de nous laisser tranquille.
"Je ne sais pas ce que je vais faire"
Le trajet a duré dix heures. J'ai enfin pu dormir un peu, je n'avais pas fermé l'œil depuis 24 heures. Vers 16h, j'ai débarqué à Przemyśl, en Pologne. Les services d'immigration ont regardé mon passeport et m'ont autorisé à séjourner dans l'Union européenne.
Je ne connaissais personne dans ce pays alors j'ai préféré partir vers la France où vit mon oncle. En plus, la guerre m'inquiétait. Je craignais que les combats se rapprochent et atteignent la Pologne.
Des humanitaires présents à la gare m'ont orienté vers des bus gratuits qui emmenaient les déplacés vers Cracovie, puis Varsovie. Au petit matin, je suis arrivé dans la capitale polonaise et j'ai pris un autre car vers Paris. J'ai mis 23 heures pour atteindre la France.
Mon oncle est venu me chercher et me loge désormais dans son appartement de la région parisienne.
Deux jours après mon arrivée, je suis allé me présenter à la préfecture en leur expliquant mon histoire. J'ai déposé une demande d'asile. Je ne peux pas revenir au Congo, c'est trop dangereux pour moi.
Je suis convoqué cet après-midi à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii). Je ne sais pas ce que je vais faire ici. Je n'ai pas les moyens de reprendre mes études. Je vais essayer d'obtenir une formation dans la menuiserie pour trouver un emploi. J'ai tout perdu avec la guerre."